Expositions temporaires
"le charme des fleurs" par trois artistes de l'europe de l'est"
BURYAK Borys - Podvirne/Ukraine -1953
Borys Bouryak, peintre émérite de l’Ukraine, membre actif du Sénat Académique de l’Académie Internationale de l’Art Moderne à Rome, est une personnalité charismatique importante de l’art de Lviv. Depuis plus de 30 ans on a pris connaissance de son œuvre multiforme à travers des expositions de groupe et personnelles dans diverses villes tant de l’Ukraine que d’Autriche, de Belgique, d’Allemagne, de France et d’Italie où son talent de peintre coloriste a une grande renommée.
Le peintre est né le 25.10.1953 dans le village de Podvirne de la région de Tchernivtsi où, dès sa petite enfance, il a découvert le monde de l’art merveilleux et magnifique. Le chemin de Borys Bouryak est, à bien des égards, caractéristique de l’Ecole Artistique de Lviv de la seconde moitié du XXe siècle. Comme la plupart des étudiants de l’Ecole des Beaux Arts Ivan Trouch de Lviv (1970-1974) et de l’Académie des Beaux Arts (1974-1979) il s’est passionné pour les maîtres de l’époque de la Renaissance. Il a été bouleversé par les expositions personnelles de Roman Selsky exposées officiellement dans les salles d’expositions de Lviv. Il s’est beaucoup intéressé à l’art des peintres baltes et arméniens ainsi qu’à l’art interdit et inaccessible comme l’œuvre des français Pierre Bonnard, Georges Rouot et Nicolas de Staël.
Le complexe des impressions et de certains repères artistiques reçus s’est progressivement transformé en son propre système pictural. Le peintre considère que le devoir d’un peintre « n’est pas de peindre des taches de couleur, mais de penser avec ces taches ». Pour l’auteur la couleur « n’est pas une pure couleur » mais « une substance complexe ». La dernière se forme pendant la mise au point du tableau, la pose des couches de « lissage », l’utilisation de la peinture d’aquarelle et de la soi-disant « peinture de corps », des réflexes et des effets de facture. Tout en reconnaissant l’importance dominante de la composition initiale l’auteur essaie d’éviter un schéma constant pendant son travail ultérieur. Il travaille par des élans émotionnels, dynamiques et vifs en correspondance avec le besoin intérieur, tant son propre besoin que celui… de la toile qui change constamment pour devenir après indépendante et commencer sa vie dans des contacts associatifs infinis avec le public. Puis, dans l’œuvre du peintre apparaissent des compositions que l’on peut appeler des œuvres significatives. Parmi ces dernières on compte notamment « La dédicace à la Confrérie stauropigiaque de Lviv » (1986), « La dédicace à l’Académie Mohyla de Kiev » (1987), « On cuit le pain » (1988), « La dédicace à Mykhaylo Boytchouk » (1988), « Byzantin » (1988), « Les pleurs près de Krouty » (1990), « Les architectes de la Lviv ancienne » (1990), « Les soirées traditionnelles des jeunes des villages » (1995) et « Les constructeurs de la Lviv ancienne » (1997-2009)… En outre, l’auteur trouve des motifs préférés auxquels il revient plusieurs fois au cours d’une longue période : « Le thème des cosaques », « Le Roi Danylo », « Les dialogues », « Les femmes », « Les fleurs » et « Les natures mortes ».
Le professionnalisme du peintre évolue tout le temps dans un travail systématique persévérant. Parlant de son importante œuvre artistique on peut dire aussi que Borys Bouryak est un des artistes lviviens qui ont vraiment contribué à la formation de nouvelles générations, à la transmission de l’expérience conforme à la pensée moderne et post-moderne du XXe et du début du XXIe siècle.
Sous cet aspect, sa participation à la création des fondements idéologiques et à l’organisation à Lviv du Club des Artistes ukrainiens n’est pas un hasard. Ce groupe artistique unique dans son genre a joué un rôle très important dans les années 1990 troublées, à l’époque de transition d’un milieu totalitaire stagnant vers les principes d’une pensée artistique libre et indépendante.
B. Bouryak est devenu deuxième président du Club des artistes ukrainiens (après V. Skolozdra) et a vraiment contribué à son activité. C’est probablement à cette époque qu’a grandi sa certitude de l’importance de l’éducation d’une nouvelle génération des artistes ukrainiens et d’un énorme potentiel créateur de l’art ukrainien contemporain. Son activité pédagogique a donné des résultats merveilleux et a créé une nouvelle vague de la jeune peinture lvivienne garantissant la continuité des générations. Le peintre se préoccupe toujours des jeunes talents qui le suivent, contribuant ainsi à élargir et à enrichir l’école picturale de Lviv.
Aujourd’hui, en se souvenant souvent de ses premiers maîtres, à distance des années, il ne se rend probablement pas compte du moment où lui-même, il devient un « maître ». Sa richesse d’aujourd’hui ne consiste pas qu’en ses propres succès mais également en ceux de ses disciples. Il a une vraie autorité, il continue activement à créer des œuvres en perfectionnant l’expérience de vie et ses propres convictions. Leur matérialisation, ce seront les nouvelles toiles qui attendent leur parution…
DEMTSIU Mychailo - Ukraine - 1953
Rarement peintre aura magnifié la couleur avec autant de générosité et d’émotion. Ce que d’aucun considère comme une composante de l’œuvre d’art, Mychailo Demtsiu l’a érigé en matière absolue qu’il modèle un peu comme un sculpteur la terre glaise. Il y puise la force de ses sujets, l’équilibre de ses compositions et la richesse de son expression. Peintre, aquarelliste, sculpteur et céramiste, il explore des techniques multiples qui s’unissent pour donner de la vie une vision à la fois optimiste, sensible et puissante.
Né un 2 janvier 1953 à Lviv en Ukraine, Mychailo Demtsiu étudie les beaux-arts dans sa ville natale. Une vocation née de la fascination pour les paysages de Crimée et de la Mer Noire qu’il avait découverts à l’occasion de son service militaire. Après ses études, il séjourne régulièrement dans les Carpates, une autre région qui marque son œuvre d’une empreinte profonde et en enrichit la dimension humaine à travers les scènes de la vie quotidienne et les portraits, féminins surtout.
Depuis, son inspiration s’est attardée à tout ce que la vie et le monde proposent d’images dignes d’intérêt, avec une prédilection pour les paysages maritimes (Mer Noire, rivages de Bretagne et d’Espagne), les vues de villes, les personnages, les natures mortes et une composante essentielle de son œuvre : le folklore. A travers celui-ci, Mychailo Demstiu affirme son appartenance à une identité culturelle et son attachement à l’Ukraine et à ses traditions, ce pays où il réside toujours et qui reste présent en filigrane dans chacune de ses œuvres.
Proche de l’expressionnisme, la peinture de Demtsiu se construit en larges aplats qui sont comme sculptés dans la pâte. Une touche pleine de vitalité vient organiser cet amalgame de couleurs qui privilégie les tons chauds et décline les rouges intenses, les bleus profonds, les jaunes incandescents voire acides. La lumière est omniprésente qui donne à cet univers des allures de mosaïque ou de vitrail. Et sous l’apparente simplicité des formes se révèle une vision synthétique qui, en quelques touches seulement, évoque les choses avec une précision étonnante et éveille tout un registre de sensations, de contrastes et d’émotions.
Parmi les autres réalisations de Mychailo Demtsiu, on s’arrêtera aux aquarelles qui, même si elles ne possèdent pas cette consistance propre à l’huile, n’en demeurent pas moins des feux d’artifice chromatiques. Citons encore les motifs qu’il crée depuis 2004 pour la manufacture de porcelaine Rosenthal, sa collaboration avec l’atelier de vitrail Dirix à Taunusstein/Wiesbaden ainsi que les nombreux projets qu’il mène en connivence avec les enfants. Enfin, en novembre 2009, Mychailo Demtsiu participera pour la troisième fois au Salon d’Automne de Paris.
Didier Paternoster
DENGYEL Tibor - Hongrie/Belgique
Kolozsvar (ex-Hongrie) 1913 – Bruxelles 2000
De sa Hongrie natale (qui se nommait alors encore Autriche-Hongrie), il retient d'abord la tradition artistique d'une famille qui compte quelques peintres, amateurs certes, mais dont la lignée ne sera pas sans conséquence sur la vocation précoce de Tibor Dengyel, né en 1913 à Kolozsvar, aujourd'hui Cluj. A l'âge de dix-sept ans, fort de sa passion pour le dessin et la peinture, il entre à l'Académie de cette ville. En 1935, appelé à servir dans l'armée roumaine, il s'enfuit et se réfugie à Budapest où il poursuit ses études à l'Académie des Beaux-Arts et à l'Université qui le familiarisera avec les grands courants de l'histoire de l'art. Il devient le plus jeune professeur de l'Académie de Budapest et obtient une bourse de l'état hongrois. Entre la Turquie et la Belgique, il choisit notre pays où il arrive en 1948. Il s'établit à Bruxelles et y poursuit une carrière qui a très tôt attiré l'attention du public et de la critique par la richesse de sa personnalité et par la multiplicité de son inspiration.
Sa connaissance approfondie de l'histoire de l'art et sa maîtrise technique l'ont tout naturellement orienté vers la restauration d'œuvres anciennes. Travail exigeant qui confronte celui qui le pratique à des procédés complexes et au respect de la personnalité de ses prédécesseurs.Travail qui donne au restaurateur la mesure de ses potentialités et ouvre au créateur des horizons presque infinis. On lui connaît ainsi une copie d'une nature morte de Chardin dont le maître lui-même aurait reconnu la fidélité sans renier toutefois la personnalité de son auteur. Car Dengyel était avant tout un artiste avide de créer, de transmuter ces innombrables fragments de la réalité en autant d'étincelles de beauté. En cela, il a largement dépassé le cadre de la restauration pour se consacrer à une œuvre toute personnelle.
De cette œuvre aux accents profondément humains, il émane un enthousiasme qu'on prend rarement en défaut. Tibor Dengyel y apparaît comme un artiste curieux, passionné et qu'aucun sujet ne rebute. Il observe le monde qui l'entoure avec acuité mais surtout avec un regard qui rappelle celui d'un enfant que tout émerveille, que tout émeut et qui voit en toute chose un sujet digne d'intérêt. Cette joie de peindre, l'artiste ne pouvait que la partager. Et à son parcours de créateur se superpose une vocation de pédagogue qui l'amènera à diriger un cours privé à Woluwé-Saint-Pierre.
Portraits, paysages, vues de villes, types populaires et figures du folklore, nus, bouquets, évocations fantastiques et scènes truculentes de kermesse ou de carnaval composent l'univers de Tibor Dengyel. Un univers qui se décline dans une gamme élargie et que transfigure une lumière dont il était un maître incontesté. Qu'il s'agisse du miroitement de l'eau sous un beau soleil italien, de la transparence un peu dorée d'une neige du Nord ou de la pureté d'un bleu d'azur moucheté de nuages, l'artiste a saisi toutes les nuances de chaque moment du jour et l'ambiance particulière de chaque paysage. L'eau y tient un rôle essentiel et lui permet d'exploiter les variations presque infinies des reflets, de la mobilité des flots depuis l'opacité jusqu'à la transparence. Cet élément liquide qui enveloppe parfois le sujet d'une brume légère, d'un scintillement qui dilue le sujet, confère aux compositions de Dengyel une atmosphère presque irréelle, fondant les couleurs en des masses mouvantes dont il émane un certain mystère. Par leur point de vue particulier, par le foisonnement des détails et ce traitement particulier de la couleur, quelques paysages rappellent les maîtres du dix-septième siècle. Alors que d'autres se situent dans une veine plus luministe ou affirment clairement leurs emprunts à l'impressionnisme. L'essentiel pour Tibor Dengyel n'est pas de dresser un portrait fidèle du lieu, mais d'en souligner les éléments qui font sa beauté et sa particularité. La preuve en est que nombre de paysages sont nés dans l'intimité de l'atelier, et parfois de nombreuses années après la visite de l'artiste.
La nature morte constitue pour lui en une sorte d'exercice où il peut donner toute la mesure de sa virtuosité. Pièces d'orfèvrerie, bouquets chatoyants, fruits, objets du quotidien figés pour l'éternité s'imposent dans leur respect de la tradition des maîtres anciens et constituent une précieuse réserve d'éléments qui se retrouveront dans des compositions plus personnelles. De même, Tibor Dengyel pratique l'art du portrait dans une veine classique, mais avec beaucoup de profondeur psychologique. Beaucoup de ses portraits sont des commandes, mais on ne le surprend jamais à flatter le modèle. Au-delà de l'apparence, de la physionomie proprement dite, c'est bien plus l'intériorité qui l'attire. Il s'est ainsi attaché à rendre l'intensité du regard qui plonge au cœur même du modèle. Au fil des années, son attachement à ce genre ne s'est jamais démenti. Il a ainsi réalisé une cinquantaine de portraits au Pays-Bas. Dans notre pays, on lui doit notamment un portrait de S.M. le roi Baudouin ainsi que le portrait du Premier Ministre A. Van Acker, deux œuvres qui ont largement contribué à asseoir sa réputation dans ce domaine.
L'atelier est aussi pour Tibor Dengyel le sanctuaire de l'imagination. C'est là qu'il crée, recrée, assemble, confronte les différents éléments qui se bousculent dans son esprit. Dans le monde qui l'entoure, il puise sans retenue, avec la joie de l'artisan qui caresse un matériau noble et docile. Il sait toute la diversité des types humains dont il donne un bel éventail, avec une prédilection marquée pour les marginaux et les artistes de rue. Ces personnages attachants, fragiles, parfois à la dérive témoignent d'une sensibilité aiguë Et même s'ils ont un côté caricatural, c'est sans moquerie aucune. L'humour y côtoie la vérité avec un sens de la métaphore qui rappelle que Tibor Dengyel a aussi tâté du dessin de presse. Ces personnages sont des symboles à leur manière, rassemblant en un seul les joies et les angoisses d'une multitude.
Dans le registre de la multitude, il faut encore évoquer les scènes de kermesse ou de carnaval ou de fête villageoise -on ne sait comment les qualifier- qui sont autant de feux d'artifice dans l'œuvre de Tibor Dengyel. Compositions foisonnantes, truculentes, entraînées par un rythme endiablé. Compositions imaginaires aussi, tout droit sorties de la fantaisie de l'artiste, entre farandoles et banquets bruegheliens, nourries de folklore et de souvenirs lointains, de légendes et de personnages fantastiques. Car ici, le couple d'amoureux enlacé côtoie la sorcière au nez crochu et les danseurs évoluent sous le regard de masques tour à tour implacables et débonnaires, dans une ambiance un peu folle, irréelle qui voit d'un bon œil l'incursion du fantastique. Le fantastique, Dengyel l'apprivoise à l'instar de nos meilleurs artistes, avec un mélange de curiosité, de respect et de fascination. Il l'accommode à sa manière, peut-être plus lyrique, mais avec une vitalité égale.
Multiple, surprenante, dense et vivante, telle est l'œuvre de Tibor Dengyel. Familier de l'œuvre des grands maîtres, il fait partie de ces artistes qui ont su concilier le respect de la tradition avec les exigences d'une œuvre originale. Une œuvre qui réussit le mariage de l'imaginaire et du réel, du passé et du présent, de la joie et de la vérité.
Didier Paternoster